[Yuri] [Valysie (Est)]
En s'emportant, Yuri avait serré les poings, broyant le papier. Il sentait à présent quelque chose de visqueux lui chatouiller la paume... il la rouvrit, et eut un sursaut lorsqu'il découvrit, entre ses doigts, un petit lézard - ou peut-un être un dragon miniature? identique à... son dessin. Celui-ci avait disparu du papier. Puis, le serpent se dissipa à son tour, comme un reflet qui s'efface. Plus aucune trace, ni dans sa main, ni sur sa feuille, du motif.
Il s'éloigna, trop préoccupé pour ne serait-ce qu'adresser un "au revoir" à l'aubergiste, mais ayant pris soin de mémoriser l'adresse indiquée, dévala les escaliers jusqu'à la sortie.
Il prit une bouffée d'air frais.
"Le dessin n'est plus là. Il y avait un dragon entre mes mains. Le même que celui du dessin. Le dragon a disparu. Le dessin n'est pas réapparu. Le dessin est devenu vivant et le vivant a disparu."
Krum, répétait-il. Krum allait le tuer, parce qu'il pensait qu'il le dénoncerait. Krum allait le tuer parce qu'il a essayé de venir en aide. Krum allait le tuer parce qu'il le cherchait et criait son nom.
Yuri s'assit et tint sa tête entre ses mains. Il médita pendant plusieurs minutes, jusqu'à retrouver la raison.
"Si Krum avait voulu me tuer, il l'aurait fait, comme avec Wladimir. Il l'aurait déjà fait, puisqu'il sait ce que j'ai fait. Non, non, c'est un avertissement."
Son pouls ralentissait. Yuri leva les yeux au ciel. Une part de lui lui conseillait de s'en aller, de quitter la ville comme disait l'aubergiste, et d'espérer ne jamais croiser Krum à nouveau.
Mais d'un autre côté, le rencontrer pourrait lui permettre de découvrir ces choses cachées; et cette connaissance élèverait son âme. N'était-ce pas ce qu'il était venu chercher? un moyen de s'extirper de la médiocrité.
Aussi estimait-il qu'il n'avait rien à craindre. Il préparait dès à présent les tout premiers mots qu'il dirait si Krum venait à apparaître. "Je ne veux pas me mettre au travers de ton chemin, j'aimerais juste savoir". Ça marcherait à coup sûr. Lui montrer qu'il était inoffensif, qu'il n'avait aucune raison de le tuer: enfin, qu'ils n'étaient pas ennemis.
Lorsqu'il avait découvert le corps sans vie de Wladimir, Yuri avait pensé ressentir de la colère devant un meurtre aussi affreux. A présent, il se rendait compte du fait qu'il avait été fasciné, ébahi devant le surnaturel (la main qui rampait) et la vengeance brutale: cette intrigue, qui ressemblait fort à celles qu'il écrivait, en vers, dans son temps libre; ou à celles auxquelles il songeait lorsqu'il dessinait des chevaliers et des traîtres se livrant à des batailles grandioses.
Il marchait en essayant de trouver le bureau des chasseurs de têtes (au Straltsa... Straltsa...), certes toujours nerveux: et cela se reflétait à travers la manière dont il tenait son sac, tout près de lui, collé à son flanc, pendant sur une épaule. Il avait récupéré une jolie bourse (il n'éprouvait à présent plus de remords à avoir repris cet argent sale, puisqu'au fond de lui, il se fichait de la mort même de son propriétaire) et ne voulait pas la perdre.